Chers lecteurs,
Votre quatrième et dernier numéro du dossier « le Gandiolais, un territoire qui se relève malgré la brèche et son oublie par l’Etat » est consacré aux rôles des jeunes dans les efforts d’adaptation et de résilience socio-économique. Pendant trois mois, j’ai réussi à partager des journées de travail avec des jeunes dynamiques et motivés pour développer leur terroir.
Exceptionnellement ce numéro est publié sur mon blog. Je vous donne rendez-vous prochainement sur : https://biramawamag.com/
Avec une population estimée à plus de 22.081 habitants selon les projections l’ANSD pour l’année 2016, la population de la commune de Ndiébène Gandiole est majoritairement composée de jeunes (+ 72 % de la population âgées de moins de 30 ans). Certes la population de la commune est très jeune, mais la réalité observée sur le terrain lors des enquêtes et observations montre plutôt une forte présence des personnes âgées. Cette tendance n’est pas due à un vieillissement de la population mais plutôt à une forte migration de la population active et jeune à cause de la déperdition des sources de revenus des activités principales : le maraîchage, la pêche et l’exploitation du sel. Une situation qui a mobilisé les efforts des jeunes qui sont restés pour développer leur localité.
Une nouvelle dynamique, l’essor des associations de jeunes dans tous les fronts sociaux
Depuis, 1992 avec la conférence de Rio au Brésil, le développement durable est officiellement adopté comme fondement de la coopération internationale et des nouvelles logiques de développement local sur la base des agendas 21 locaux qui prônent une démocratie participative et de réhabilitation des territoires selon les travaux de la professeure Sylvie Brunel. Dans les pays en de développement, il marque une prise de conscience sur la vulnérabilité de l’environnement et de tous ceux qui en dépend en terme de quantité et de qualité (les ressources naturelles, la qualité de l’air, etc.). Cette prise de conscience se traduit aussi par un engagement de plus en plus important des jeunes dans le développement local et des politiques de gestion des ressources. Dès lors, ils deviennent des acteurs majeurs de ce processus qui vise à concilier l’équité sociale, l’efficience économique et la durabilité écologique. Comme dans tous les pays africains, le Sénégal s’est lancé dans cette nouvelle logique de développement durable. Au niveau local, les associations de jeunes s’investissent davantage sur les questions relatives à l’adaptation et à la résilience des communautés face aux changements climatiques ou toutes perturbations environnementales.
Avec l’avènement de la brèche et ses conséquences négatives sur les activités économiques du Gandiolais, les associations de jeunes se mobilisent pour participer au rebondissement économique, permettant de renforcer les capacités d’adaptation et de résilience des systèmes socio-économiques.
L’avènement de la brèche : De la prise de conscience au bénévolat ?
Avec une population très jeune, le Gandiolais dispose un potentiel humain très important. Certes, la majorité de ces jeunes ne dispose pas d’une formation professionnelle mais cela ne les empêche pas de participer aux activités collectives et aux journées de réflexion sur les opportunités de développement économique de la commune. Ils participent aux différentes activités et sessions de formation afin d’avoir les connaissances et expériences qui leur permettront d’optimiser leur participation à ce processus d’adaptation. Cette notion de participation présente un caractère particulier chez les jeunes du Gandiolais. Selon Yao Assogba, professeur en travail social à l’Université du Québec en Outaouais, la notion de participation peut être définie comme le fait de partager quelque chose avec d’autres. Ce « quelque chose » peut être un objet, une activité, un pouvoir. La participation des jeunes à un projet de développement signifie leur engagement dans le processus de prises des décisions qui s’y rattache. Dès lors, on peut distinguer différents types de participation. Albert Meister a élaboré en 1977 une typologie de participation. Elle comprend cinq types :
- La participation de fait (fondée sur la tradition qui regroupe des personnes ayant certains buts en commun, par exemple les groupes d’âge ou de métier) ;
- La participation imposée qui est provoquée selon des normes établies par des animateurs extérieurs au groupe comme dans le cas des règles imposées pour la distribution de l’eau d’irrigation ;
- La participation spontanée (qui renvoie à une participation entièrement volontaire et sa spontanéité tient au fait que les circonstances d’habitat (voisinage) ou d’affinités quelconque (cliques) ont mis des gens ensemble) ;
- La participation volontaire et la participation provoquée.
Dans la zone du Gandiolais, la participation des jeunes dans ce processus d’adaptation relève en général des deux derniers types de participation :
- La participation volontaire : elle se déclenche sans l’aide d’une animation quelconque lorsque des personnes partageant certains intérêts décident de se grouper en syndicat, en coopérative ou en parti politique pour défendre leurs intérêts. Le recrutement sur la base du volontariat et la participation a pour fonction sociale de satisfaire les besoins nouveaux de la collectivité et de faciliter l’adaptation des membres de celle-ci aux changements socio-économiques et environnementaux ;
- La participation provoquée : elle est suscitée par des animateurs pour encourager des comportements jugés nécessaires pour une meilleure adaptation au changement social. Et ces animateurs sont les plus souvent les étudiants qui se mobilisent en menant des activités de sensibilisation pendant les périodes de vacances universitaires. Le recrutement est donc provoqué par la sensibilisation pour remplir une fonction d’adaptation.
La naissance de ses associations présente beaucoup d’avantages : la mobilisation de toutes les couches sociales, l’organisation des activités au profit des femmes, des journées de réflexion et des forums sur les problématiques de la brèche. Les répercussions négatives de l’ouverture intempestive de la brèche sur le potentiel agricole et économique du Gandiolais affectent en grande partie deux activités traditionnelles : le maraîchage et l’exploitation du sel qui, pendant des décennies, ont constitué les principales sources de revenus pour des milliers de personnes, particulièrement les femmes. C’est dans ce contexte que les associations de jeunes se sont multipliées avec des objectifs et des orientations qui visent à participer au rebondissement économique du Gandiolais comme le montre ce graphique ci-dessus.
Cette croissance importante des associations de jeunes est caractérisée aussi par une grande diversité, voire une spécialisation. Si certaines associations interviennent dans une diversité d’activités, d’autres comme l’Association pour le Développement de Ndiébène (ADN), HAHATAY et la convention des Gandiol-Gandiol se donnent comme priorité la promotion de l’éducation des jeunes mais aussi l’amélioration des conditions d’études. Elles distribuent des dons importants de matériels informatiques, initient des programmes de réhabilitation des abris provisoires, la construction de nouvelles salles de classe et de blocs administratifs. Certes l’émergence des associations de jeunes est un phénomène ancien, mais avec les répercussions de la brèche sur les conditions de vie socio-économiques des populations, elles se sont multipliées. Le nombre de ces entités croît à un rythme exponentiel et son impact socio-économique est loin d’être négligeable. Avec moins de cinq associations avant les années 2000, elles passent, aujourd’hui, à plus d’une trentaine réparties dans les différents villages de la commune.
Une diversité générationnelle qui s’accompagne d’une diversifié de catégorie socio-professionnelle ?
Ces associations de jeunes sont marquées par une forte présence des jeunes âgés entre 15 et 30 ans. Cette tranche d’âge représente plus des deux tiers des membres des différentes associations de jeunes interrogés. Ces associations sont composées essentiellement d’étudiants et d’élèves (des collégiens et des lycéens en général). Ces derniers constituent le maillon essentiel de son fonctionnement. Avec leurs capacités intellectuelles, ces jeunes occupent les fonctions stratégiques des bureaux et impulsent des différentes activités menées dans les différents villages. Ces associations sont aussi marquées par une présence importante des adultes avec 20% des membres âgés entre 30 ans et 60 ans. Ces derniers sont souvent des travailleurs qui sont dans la commune mais aussi dans la région de Saint-Louis et de Dakar. Ils peuvent être cadres professionnels travaillant dans la fonction publique ou exerçant dans les métiers du commerce et du transport (les conducteurs de taxi en général). Si les jeunes de moins de 15 ans participent faiblement aux mouvements associatifs, les personnes âgées de plus de 60 ans sont totalement absentes des associations, une situation favorable aux échanges entre jeunes sur des questions qu’elles n’osent pas aborder devant leurs parents et les personnes âgées de leurs villages.
Cette diversité générationnelle s’accompagne d’une logique de mixité sociale et ethnique qui vise à regrouper toutes les couches de la commune dans des projets de développement communautaire, de formation et de sensibilisation. Issus de tous les secteurs de la société : étudiants, élèves, ouvriers agricoles, pêcheurs, entrepreneurs, professeurs, fonctionnaires, travailleurs sociaux, ces jeunes se regroupent dans ces mouvements associatifs pour discuter sur des questions environnementales et socio-économiques. Les catégories socio-professionnelles les plus représentées dans ces associations de jeunes restent les étudiants, les élèves et les fonctionnaires. Ces trois couches totalisent plus de 70 % des membres. Alors que les jeunes qui travaillent dans les différentes activités économiques de la commune (les ouvriers agricoles, les pêcheurs, les commerçants et les maraîchers) restent moins présents dans les associations (moins de 20%) à cause d’une forte migration régionale de ces derniers qui se retrouvent souvent dans la commune uniquement lors des fêtes familiales. Les associations sont aussi fréquentées par des jeunes sans travail, ni formation professionnelle. Qualifiés comme étant des personnes sans travail, ces jeunes s’intéressent de plus en plus dans les activités organisées par les associations. Ils sont présents dans les activités d’investissement humain comme les journées de sensibilisation, mais aussi dans l’organisation des différentes activités (journées médicales, conférences, etc.). Ils constituent une force de travail et de mobilisation pour la réussite de ces activités. Cette configuration des associations avec une forte présence des jeunes ayant fait des études s’explique, entre autres, par le niveau d’éducation des jeunes, la mobilité des étudiants et des élèves, les effets des réseaux sociaux et l’émergence des associations d’étudiants dans les universités (l’Association des Etudiants Ressortissant de Gandiole section Université Gaston Berger de Saint-Louis et ceux de l’Université Virtuelle du Sénégal, par exemple) qui permet aux étudiants ressortissants du Gandiolais de créer un cadre d’échange. Ces dernières organisent des activités de sensibilisation et des journées médicales.
Tranches d’âge des associations de jeunes
Catégories socio-professionnelles des associations de jeunes
Les associations de jeunes à l’assaut des objectifs de développement sociaux
Les associations de jeunes dans le Gandiolais se sont diversifiées dans le temps avec des domaines d’activités plus importantes. Les défis de l’adaptation restent très présents dans la commune, mais les jeunes s’investissent dans différentes activités pour soutenir cet élan. Ils organisent des activités sur d’autres domaines comme : la santé, l’éducation, la formation, l’agriculture, l’environnement, la culture, le sport, etc. Or, parmi ces différents domaines, certains sont jugés stratégiques et constituent les bases de l’adaptation : éducation, santé, formation des femmes. Ces trois domaines concentrent plus de 90% des sujets abordés par les associations de jeunes chaque année. Avec ces activités, les associations de jeunes fournissent, entre autres, des services sociaux et économiques vitaux pour renforcer capacités de résilience. Elles interviennent dans différents domaines de l’adaptation :
- Dans le domaine de l’éducation : des dons de matériels, des journées d’excellence pour encourager les jeunes devant leurs parents, construction des salles de classe, en remplaçant des quelques abris provisoires présents dans certains établissements enclavés ;
- Dans le domaine de la santé : la réfection des infrastructures sanitaires (poste de santé) et des dons de matériels médicaux, des journées médicales avec la venue de spécialiste de la santé pour offrir gratuitement des soins spécialisés à la population (comme les maladies cardio-vasculaires) ;
- Dans le domaine du tourisme et de la promotion de la culture : la construction du centre culturel AMINATA géré exclusivement par les jeunes (des étudiants ayant fait des formations universitaires et professionnelles) de la commune et l’organisation du festival « Taaru Gandiole » ou «beauté de Gandiole » qui regroupe chaque année des touristes venant de l’Europe ;
- Dans le domaine de la formation : organisation des sessions de formation pour les associations des femmes travaillant dans la transformation des produits halieutiques, dans la fabrication des savons, mais aussi dans le management et le leadership féminin. Le centre culturel AMINATA organise aussi régulièrement des sessions de formation sur les outils de l’informatique pour ses jeunes membres et les élèves des différents établissements de la commune ;
- Dans le domaine de la promotion de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes : dans le Gandiolais, l’influence des aspects traditionnels fait partie de la vie quotidienne des femmes. Face à cette réalité qui est souvent source de blocages pour leur pleine participation à la vie économique, les associations de jeunes organisent des sessions de sensibilisation qui visent à montrer la nécessité de la présence des femmes dans la vie économique mais aussi politique.
Pour illustrer, cette prise de conscience et cette implication des jeunes, l’organisation de la journée mondiale des droits des femmes (le 08 mars) prend de nouvelles tournures. Longtemps célébrées exclusivement par des activités festives, les associations de jeunes en collaboration avec les organisations de femmes commencent à orienter ces activités sur des sujets de réflexion portant, par exemple, sur le rôle des femmes dans le développement local (le thème de la célébration du 8 mars 2018 à laquelle nous avons assisté au centre culturel AMINATA). En plus de ces activités, les jeunes filles animent des journées de débat entre elles pour discuter sur des questions qu’elles n’osent pas soulever en famille, c’est-à-dire, des sujets vus comme tabous par la société gandiolaise. Ces sujets de discussion vont des questions de la sexualité, de genre, de la vie familiale aux rôles de la femme dans le développement socio-économique et de la protection de l’environnement.
Les enfants de la case des tout-petits dans centre AMINATA avec leur maîtresse.
Journée médicale et remise des fournitures scolaires aux élèves
Un grand merci à tous les lecteurs qui m’envoient des messages d’encouragement.
Nos prochains numéros porteront sur ces sujets : grande distribution, commerce informel, Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) et développement durable (DD).